Iemanjá, Acarajé et Jorge Amado à Salvador da Bahia (FR)


Début 2022, j’ai passé quelques mois à voyager seule au Brésil. Mon périple a commencé à Rio de Janeiro, ville que je connais déjà bien, avant de se poursuivre de Bahia jusqu’en Amazonie. J’ai donc passé quatre mois sur les routes, afin d’appréhender un peu mieux la langue ainsi que divers aspects de la culture brésilienne. Ces prochains articles seront donc des extraits de mes journaux de voyage, que j’agrémenterai de quelques découvertes culturelles que j’ai faites sur la route!


Février 2022, Salvador da Bahia:
Et me voilà à Salvador da Bahia ! Début du voyage solo. J'avais envie de connaître cette ville, capitale de l’état de Bahia, pour son aspect historique lié notamment à la colonisation et à l'esclavage et à toute la culture traditionnelle, musicale et culinaire qui en résulte.

Rua Direita de Santo Antonio:

Les quartiers touristiques sont plutôt sûrs, et les gens sont assez tranquilles et franchement sympathiques. Je dors dans un Airbnb situé dans le prolongement du quartier le plus touristique, Pelourinho, dans une rue colorée un peu plus alternative: la Rua Direita de Santo Antonio. C'est un quartier artistique, avec une véritable vie locale, et où se côtoient véritablement jeunes et vieux, blancs et noirs, riches et pauvres, artistes et travailleurs, ce qui est relativement rare au Brésil. Mes voisins écoutent en permanence de la musique, chantent, et jouent même de la flûte et de la trompette ! Le matin je suis souvent réveillée par le chant d'un coq (?!) que je n'ai finalement même pas réussi à localiser!

Après y avoir passé près d'une semaine, voici quelques endroits que j'ai apprécié:

💛 J'AI BIEN AIMÉ

Dans le prolongement de la rue où je logeais, en descendant vers Pelourinho, se trouve la maison du Benin, un centre de mémoire consacré à la culture de ce pays dont sont originaires bon nombre d'esclaves ayant été emmenés de force au Brésil. Il a été pensé notamment par Pierre Verger, un photographe et ethnologue français et par le musicien et ex ministre de la culture Gilberto Gil.

ÇA VAUT LE COUP D'​👀

Pour en apprendre plus sur le rapport entre Gilberto Gil et l’Afrique: https//artsandculture.google.com/story/hQUhmYutbCyOLg

Vue depuis la fenêtre de la Casa do Benin ©Mathilde Cl.

Pelourinho:

Le quartier de Pelourinho est le quartier historique (et touristique!) de Salvador. Pelourinho abrita notamment dès 1558 le plus grand marché aux esclaves du continent. Un peu laissé à l’abandon après l’indépendance du Brésil et l’arrêt officiel de l’esclavage, le quartier fut peu à peu restauré et est aujourd’hui classé au Patrimoine Mondial de l’Unesco.

Il est aujourd’hui particulièrement bien préservé, coloré et dynamique: de jour comme de nuit, de la musique s’échappe des cours intérieures et de nombreux groupes locaux (le plus connu étant Olodum) ou capoeiristes s’exercent et se produisent dans les petites rues pavées.

Pelourinho © Mathilde Cl.

ÇA VAUT LE COUP D'👀

C’est par exemple le lieu où à été tourné le clip de Michael Jackson, "They don't care about us"! (enfin, en partie, car le Christ Redempteur est bien à Rio !)

Le groupe Olodum a aussi collaboré avec Paul Simon ou Jimmy Cliff.

J’ai eu beaucoup de chance de rencontrer dès le premier jour Jeff, un brésilien habitué à recevoir des gens via la plateforme Couchsurfing. Il m’a permis de visiter Pelourinho d’une autre façon, lui qui connaissait à peu près tous les vendeurs ambulants et savait exactement où il fallait être chaque soir.

Il m’a donc indiqué quelques adresses sympa:

📍​LA RECO LOCALE ​

  • Le Clube do Samba bordant le Terreiro de Jesus (l’entrée se fait par le magasin de souvenirs): des soirées sambas le soir, toujours de très bonne qualité et une super ambiance!
  • La Fondation Casa de Jorge Amado: Un des plus grands écrivains du Brésil, que j’ai dévoré pendant tout mon voyage. Son ouvrage le plus connu est: « Gabriela, girofle et cannelle »
  • Le bar Zulu pour les bières pas chères et les options végétariennes
Vue sur les toits de Pelourinho depuis la Fondation Casa de Jorge Amado © Mathilde Cl.

La capoeira:

Grâce à lui, j’ai aussi eu la chance de pouvoir assister à une “Roda”(un cercle) de Capoeira sur le Terreiro principal de Pelourinho. Il connaissait les participants et m’a même présenté au “Mestre”, le professeur, celui qui chante des paroles influençant le jeu. Dans la Capoeira Angola comme celle à laquelle j’ai assisté, il est souvent accompagné par trois berimbau (un arc musical frappé typiquement brésilien), deux pandeiro (sorte de tambourin), un atabaque (tambour), un reco-reco que l’on gratte et frappe, et un agogo (sorte de cloche).

Les participants sont vraiment concentrés et c’est assez clair qu’il ne s’agit ici pas d’un simple sport (contrairement à d’autres “représentations” de Capoeira que j’ai pu voir en Europe) mais plutôt d’un rituel un peu hypnotique, renforcé par les chants et rythmes répétitifs. À la fin du “Jogo”, les deux capoeiristes du centre terminent en échangeant des sourires complices, rompant avec l’aspect presque guerrier du “combat” qu'ils viennent de mener.

La cuisine bahianaise:

Je voulais également parler ici de la cuisine Bahianaise, en tout cas des plats que j’ai goûtés. En effet, la cuisine tient une place importante dans la culture de la région, car elle est intimement liée aux rites et traditions. Comme la gastronomie antillaise par exemple, elle a aussi été naturellement influencée par la culture africaine et utilise de nombreux ingrédients importés au Brésil par les portugais (l’huile de palme, la banane, l’igname ou les combos par exemple).

Un des plats de rue les plus connus est l'Acarajé, une sorte de galette d’haricots blancs frite, remplie de crevettes, de salade et/ou de pâte d'arachide. Dans la religion Candomblé (religion mélangeant les croyances africaines au catholicisme), les Acarajés sont en fait des offrandes aux Orixás (les différents dieux du Candomblé). Encore aujourd'hui, ce plat est considéré comme sacré et seule certaines femmes issues de certaines familles ont le droit d'en préparer. Elles sont souvent habillées en habits traditionnels.

J'ai aussi gouté la Moqueca. C'est également un plat de Bahia, souvent à base de poisson ou de crabe mijoté en sauce, de riz, de Farofa (farine de Manioc) et de sauce.

💛 ​J'AI BIEN AIMÉ ​

  • L’Acarajé da Cira, sur la place du Rio Vermelho (considéré comme le meilleur et le plus traditionnel)
  • Le dimanche, aller se promener sur l’ Avenida Beira Mar: très animé, fréquenté par des familles de locaux, plein de petites « Barracas », des restaurants de fruits de mer et de plats populaires brésiliens de plage. Pas très loin, tester le « Museu do Sorvete » pour les délicieuses glaces
  • Pas de la cuisine Bahianaise mais vaut cependant le coup d’être mentionné: le restaurant Péruvien « O Peruano », tenue par une jeune péruvienne qui cuisine et fait le service en même temps. Le lieu ne paye pas de mine mais c’est délicieux!

2 de Fevereiro, Dia de Iemanjá

Le 2 février, c'est le jour de Iemanjá, la divinité de la mer et des rivières et la mère de tous les Orixás, les divinités de la religion Candomblé.

Le Candomblé est une religion brésilienne, mélange de divinités africaines apportées par les esclaves, de croyances indigènes et de la religion catholique des colons. Ces derniers ayant interdit tout autre pratique ne relevant pas du catholicisme, les esclaves et indigènes ont peu à peu intégré leurs divinités aux Saints catholique afin de pouvoir pratiquer de façon plus discrète. Le Candomblé est encore aujourd'hui beaucoup pratiqué, notamment par les populations noires et métissées du Brésil.

Lors de la fête de Iemanjà, des offrandes sont jetées à la mer, et notamment des fleurs. La croyance veut que si les fleurs reviennent au rivage après avoir été jetées à la mer, cela signifie qu'elles pourraient avoir été rejetées par Iemanjá et donc potentiellement que les souhaits et prières ne se réaliseront pas. De nombreuses personnes prennent donc de petites barques pour jeter leurs offrandes et faire leur prières au milieu de l'eau, au plus près de Iemanjá.

Plage du Rio Vermelho. Au fond, célébrations de Iemanjá © Mathilde Cl.

Extrait de mon carnet de voyage:

“La journée commence à minuit avec des célébrations, et finit le lendemain. Il est coutume de se lever tôt et de se rendre sur la plage de Rio Vermelho, un quartier de Salvador, au lever du soleil.

C'est d’ailleurs ce que mes camarades de dortoir ont fait, toutes vêtues de tenues traditionnelles blanches de la tête aux pieds. Moi j'ai plutôt retrouvée une nouvelle amie française, Anne aux alentours de 08h00 à l'entrée du Rio Vermelho. Cette année, la plage principale étant fermée, les cérémonies ont été réduites, mais ont tout de même eu lieu un peu plus loin. Plusieurs personnes en blanc se tenaient donc sur les falaises pour prier et jeter des fleurs à la mer. Sur la plage, deux hommes bénissaient les gens avec de l'eau de mer (surtout des femmes) tout en chantant. Nous avons ensuite retrouvé Juliana, une brésilienne de Rio et pris un bateau ensemble. Juliana chantait et remerciait Iemanjá, tandis que nous jetions nos fleurs à la mer.

En rentrant, nous nous sommes arrêtées sur la place principale de Rio Vermelho pour prendre un Acarajé, la spécialité de Bahia et aussi considéré comme nourriture sacrée puisqu'elle ne peut être cuisiné que par des femmes issues de certaines familles de Bahia.

Juliana nous a ainsi raconté qu'elle avait passé la journée de la veille avec des Bahianaises, préparant des offrandes et prenant des bains aux herbes afin de préparer la fête du 2 Février et ainsi rendre hommage à Iemanjá

Anne jetant des roses à l'eau © Mathilde Cl.

Sur les photos suivantes, il s'agit de la cathédrale de Bonfim et des fameux bracelets en souvenir du "Senhor do Bonfim". Il s'agit là encore d'un hommage à la religion Candomblé puisque chaque couleur représente une Orixá, les dieux du Candomblé. Il est coutume de faire deux tours avant de nouer trois fois autour du bras, tout en faisant trois vœux. Les vœux devraient de réaliser lorsque le bracelet tombera, mais il ne faut surtout pas les couper !

Les marches de la cathédrale de Bonfim © Mathilde Cl.

Le Musée d’Art Moderne de Bahia, le MAM:

J'ai aussi visité musée d'art moderne de Bahia, le MAM. Il abrite de nombreuses œuvres d'artistes et artisans de la région et se situe pas très loin du port principal et proche d'une petite favela. Cette "favela" (le mot "communidade" est plutôt utilisé aujourd'hui car moins stigmatisant), est plutôt "tranquilo" comme aiment le dire les brésiliens, c'est à dire plutôt sûre. Il y a souvent des concerts sur la terrasse entre le musée et la plage !

Museu do Carnaval - le Musée du Carnaval:

C'est un passage incontournable à Salvador, surtout car les costumes exposés sont magnifiques. Le Carnaval a commencé avec les colons européens voulant imiter les Venitiens, puis les esclaves et natifs se le sont approprié jusqu'à l'énorme fête populaire qu'elle est devenue aujourd'hui (sauf cette année...). Les chanteur.s.e.s du carnaval les plus connues sont de véritables Rockstars et la plupart des chansons sont connues par presque tous les brésiliens. Je connaissais déjà Daniela Mercury qui a joué plusieurs fois au Montreux Jazz Festival (où j’ai travaillé deux ans), mais il y a aussi par exemple Clara Nunes et bien d'autres.

La Cidade da Musica - la Cité de la musique:

Autre musée très intéressant, celui de la Cité de la Musique. Des centaines d'heures d'archives audio et vidéo retracent l'histoire de la musique de Bahia. Les chanteurs et thématiques les plus connues en Europe sont Gilberto Gil et João Gilberto, tous deux originaires de Bahia, ainsi que Tropicalismo. Il s'agit d'un mouvement intellectuel et artistique des années 70, en opposition à la dictature militaire de ces années là. Les représentants les plus connus sont Gilberto Gil et Caetano Veloso, mais aussi Gal Costa, Os Mutantes, Torquato Neto, Capinam, Tom Zé, Nara Leão et Rogério Duprat, qui sortirent l'album manifeste "Tropicália ou Panis et Circencis". Gilberto Gil et Caetano Valoso seront ensuite arrêtés et emprisonnés à domicile par les généraux au pouvoir, puis obligés de s'exiler, mettant progressivement fin au mouvement.

Il y a tellement à dire sur le Brésil et la culture bahianaise… Je ne peux me cantonner qu'à un seul article, même si il est suffisamment long. En quatre mois, j’ai pu appréhender plusieurs fragments issus de la diversité brésilienne, et il est parfois difficile de décrire les sons, les odeurs et les couleurs dans un blog. Mais je vais tout de même essayer, en espérant que ce premier article vous ait plu!